samedi, juillet 8

Pet Shop Boys - Hotspot (II)

(lire le début de la chronique ici)

6) I Don’t Wanna (6)

Une chanson sur un homme qui préfère rester chez lui plutôt que d’aller danser en boîte. Cela devrait a priori me parler mais en fait, non. Si on excepte un riff démoniaque de synthé durant le refrain, truffé d’intervalles tellement biscornus qu’il en est rigoureusement inchantable, on n’a pas ici grand-chose à se mettre dans l’oreille. Comme souvent, le fait qu’il s’agit d’une des plus mauvaises chansons de l’album découle de manière limpide de leur décision d'en faire un des singles de l'album. J’aime bien la citation de Snap! cela dit, on ne cite pas assez Snap! dans les années 2020.

 

7) Monkey Business (6)

En quarante ans de carrière, les Pet Shop Boys ont développé un art de la face B que bien d’autres artistes pourraient leur envier, leurs faces B étant souvent au moins aussi intéressantes que les singles qu’elles accompagnaient. Monkey Business sonne en plein comme une face B, mais malheureusement comme leurs faces B les moins intéressantes, celles de la fin des années 90/début des années 2000, où un vague riff, un motif de synthé pince-sans-rire est étiré sur trois ou quatre minutes « for the lolz ». Si on ajoute par ailleurs qu’une règle non-écrite veut que les Pet Shop Boys n’utilisent des chœurs féminins que sur leurs plus mauvaises chansons, quand ils essayent de faire de la haousse musique (cfr Before), on comprendra que cette chanson (un single aussi, ce qui est somme toute assez logique) ne fait pas partie de la veine des Pet Shop Boys que je préfère. La chanson menace de décoller légèrement à deux ou trois reprises (quand Neil énumère des alcools par exemple) mais le soufflé retombe assez vite. C’est d’autant plus frustrant que je sens confusément en arrière-plan une chanson intéressante tentant de s’extraire de sa gangue disco-house.

 

8) Only The Dark (5)

Et ceci, mesdames et messieurs, est le moment où l’album tombe dans la mièvrerie et la guimauve. Paroles ineptes, mélodie anémique, rythmique irritante. Ce faux-pas est d’autant moins pardonnable que la chanson est construite comme un assemblage de fragments extraits de morceaux qui sont tous sensiblement meilleurs. Il y a d’abord un petit côté Richard Sanderson au tout début, que je ne m’explique pas bien, puis, sans doute pour éviter des procès pour plagiat, la chanson verse dans l’auto-parodie. Quelque chose dans l’atmosphère générale du morceau me rappelle en effet Luna Park mais, surtout, on retrouve dans le refrain des auto-citations assez grossières de Miracles (deux titres que j’ai incidemment déjà mentionnés auparavant dans cette chronique, signe qu’ils m’obsèdent ou qu’ils ont trotté dans un coin de la tête de Neil et de Chris lors de l’écriture de cet album). Avec de telles références, on aurait pu logiquement s’attendre à mieux que ce gros loukoum dégoulinant... Et là, mes rares lecteurs de se demander si je voue vraiment un culte à Richard Sanderson. Il faut savoir cultiver ses zones d'ombre !

 

9) Burning The Heather (8)

Ce morceau renoue avec une des veines de leur répertoire que je préfère, celle où ils flirtent avec l’acoustique. Johnny Marr ayant sans doute envoyé un mot d’excuse dûment signé par son médecin traitant, c’est Bernard Butler qui vient ici gratouiller sa guitare en fond sonore. On trouve également de-ci de-là un solo de trompette (possiblement synthétique), de la guitare wah-wah et des clochettes. Que demander de plus (comme le disait John Peel) ? Je pense qu’il s’agit de la chanson la plus champêtre qu’ils aient jamais écrite : une ode à l’errance campagnarde, entre bruyère et chiens de berger. Pour un peu, on pourrait se croire dans une chanson traditionnelle irlandaise, jusqu’à la possibilité finale d’une sédentarisation apaisée. La manière dont la chanson se termine abruptement sur un couplet me plaît bien aussi, c’est plutôt rare dans leur catalogue…. mais je déduis un demi-point pour les fautes de grammaire : "If you’ve enough room" (non mais quelle horreur !). On pourrait aussi légitimement se demander si la chanson n’est pas un chouïa trop longue. 5 minutes 20, c’est tout de même un peu beaucoup. Il eût sans doute été judicieux de supprimer un des cinq couplets.

 

10) Wedding in Berlin (2)

Le tropisme berlinois de cet album trouve ici son “apothéose” avec une chanson résolument navrante et éhontément consternante.  De la techno de bas étage, que même Lagaf’ n’aurait pas voulu trouver dans son lavabo (ou dans son bidet), entrecoupée de citations très premier degré de la Marche Nuptiale de Mendelssohn, le tout sur des paroles répétitives et absolument dénuées de toute signification. Un des nadirs de leur carrière, à n’en pas douter, et peut-être une des raisons pour lesquelles cet album fut si mal accueilli par une frange importante de leurs fans.

 

 

Tous comptes faits, j’en arrive à un score moyen de 6,5/10 pour l’album, ce qui est effectivement un peu moins que pour Electric et nettement moins que pour Super. Réduire l’album à ce score global ne serait cependant pas lui rendre tout à fait justice. Hotspot présente en effet également des aspects assez réjouissants, qui augurent de bonnes surprises futures. On y trouve par exemple des textes plus complexes et élaborés que ceux dont Neil s’était contenté depuis une bonne dizaine d’années. Il y renoue, souvent avec un certain bonheur, avec la narration. Une bonne moitié des chansons racontent des histoires tenues, dans lesquelles il est possible de se projeter (paroles narratives dont Being Boring constitue évidemment l’exemple-type). Par ailleurs, l’album est plutôt bien produit, grâce une nouvelle fois à Stuart Price qui signe ici le dernier volet de la trilogie d’albums qu’il avait prévu d’enregistrer avec le groupe, même s'il faut parfois mettre le casque pour profiter pleinement de tous ces détails qui enrichissent le son de l’album. Pas un chef-d'œuvre donc mais pas la bouse annoncée non plus, juste un album moyen qui vient marquer la fin d’une époque et la possibilité d’un renouveau.

Pet Shop Boys - Hotspot (I)

 Un célèbre slogan, auquel je souscris pleinement, résonne comme un vibrant appel aux armes : “Procrastinateurs de tous les pays, unissez-vous demain ! ». Et c’est donc avec trois bonnes années de retard, alors que l’enregistrement d’un nouvel opus a déjà débuté, qu’arrive ma chronique du dernier album des Pet Shop Boys. Par son caractère tardif, elle acquiert un statut un peu paradoxal. En effet, Hotspot a été assez fraîchement reçu par de nombreux fans. On a vu des fans de 30 ans qualifier cet album de "bouse" ou de "sombre merde" (si ! si ! ne niez pas, j’ai les noms !). Mes deux ou trois premières écoutes à l’époque de la sortie de l’album (début 2020 quand même) m’avait laissé un sentiment mitigé, sans que cela ait en soi la moindre signification. J’ai en effet une fâcheuse tendance à ne me faire une opinion tranchée sur un album qu’après cinq ou six écoutes. Je suis donc tenu ici de prendre position dans un débat qui est pour beaucoup déjà tranché. Cela influencera-t-il mon jugement d’une manière ou d’une autre ? Succomberai-je au plaisir de hurler avec la meute ou voudrai-je faire valoir ma farouche indépendance ? Honnêtement, je n’en sais rien. Découvrons-le ensemble. Le suspense est insoutenable.


1) Will-O-The-Wisp  (8)

Ça part plutôt bien, avec ce que Popjustice aurait appelé un « banger ». A du 120 bpm, Neil évoque l’apparition fugace dans un train du métro berlinois, imaginaire ou réelle je n’en sais rien, d’un ancien ami/amant qui, dans sa jeunesse était un « feu follet », sans attache, imprévisible et dont il se demande s’il s’est rangé, s’il a maintenant une femme, un boulot dans l’administration locale et un bail de location longue durée pour son appartement cinq pièces. Musicalement, cela ne révolutionne rien, mais la chanson passe avec bonheur de l’euphorie que lui inspirent ces réminiscences du passé (le refrain) et la nostalgie que provoque nécessairement ce recul de plusieurs (dizaines de ?) années (voir le passage parlé du deuxième couplet…. quand Neil parle dans une chanson, j’ai toujours envie de sortir les mouchoirs, au cas où). Un début prometteur.


2) You Are The One (7,5)

Sur Nightlife, on trouvait The Only One, une chanson où Neil jouait l’amant transi voulant être rassuré (“Am I the only one?”). Ma première écoute de ce morceau m’avait donné l’impression que ce morceau en était la suite désenchantée. J’avais en effet compris que le refrain disait ”You Are The One, I Was The One”, formule lapidaire dont j’appréciais la concision et l’expressivité. Las, les paroles données sur le site officiel sont "You are the one I want, the one", ce qui est d’une coupable platitude, que les pépiements d’oiseaux qui ouvrent le morceau ne font que souligner. Ici aussi, les paroles évoquent l’Allemagne et les après-midis passés au bord d’un lac avant d’aller au cinéma. Point bonus pour avoir placé dans les paroles : « chittering and chattering » et « spluttering and splattering » mais on est plus proche dans l’esprit de l’euphorie de l’amour naissant évoqué dans Miracles que du regard en arrière nostalgique sur un amour déçu que ma première écoute m’avait laissé entrevoir. Les bruits d’ailes après « taking flight » et les quelques notes de piano sont plutôt classieuses cela dit. Il s’agit d’un morceau qui sonne bien et qui court sans doute moins le risque de se démoder que Will-O-The-Wisp.

 

3) Happy People (7)

Je suis convaincu que la basse de cette chanson est pompée sur un de leurs anciens morceaux, dont je ne retombe pas sur le titre. En tout cas, le riff au piano du début m’évoque tout ce que j’ai détesté dans la dance-pop des années 90. D’un point de vue sonore, ce n’est donc a priori pas trop une chanson pour moi, ce qui est dommage parce que Neil y renoue avec la narration parlée qui lui réussit en général si bien, et les paroles des couplets sont peut-être bien ce qu’il a écrit de plus évocateur depuis dix ans. "A blues would be in B flat / Pain defining wisdom / But the soul is in the high hat / Programmed in the system". Je ne dirai pas que le sens est limpide mais c’est plus écrit que d’habitude, plus prétentieux aussi, ce qui n’est jamais une mauvaise chose avec eux.  Dommage que le refrain soit musicalement si pauvre, d’autant que la phrase "Happy people, living in a sad world" méritait un emballage mélodique un peu plus chiadé. Les cloches samplées en fin de morceau sont assez jolies aussi, même si la symbolique m’échappe, peut-être sont-elles simplement un avant-goût de Wedding in Berlin, qui clôture l’album.

 

4) Dreamland (7)

Le hit-single de l’album, dans le sens qu’il s’agit sans aucun doute du morceau qui a le plus tourné en radio (si tant est que dire cela ait encore une signification en 2020), sans doute à cause d’Olly Alexander, qui l’a co-écrite et y donne la réplique à Neil Tennant. C’est aussi une des rares chansons de l’album qui fut reprise lors de la tournée en cours. J’ai donc déjà eu le temps de m’en lasser un peu, d’autant que l’écoute au casque confirme qu’elle est beaucoup plus rudimentairement produite que les trois premières chansons de l’album. C’est de la pop song basique, sans fioritures, pensée pour rentrer en tête le plus rapidement possible. Les paroles évoquent clairement le besoin de s’évader de la réalité pour se réfugier dans le monde des songes où tout est plus beau, moins déprimant. Je ne sais plus pourquoi, à l’époque, j’y avais vu une parabole du Brexit et du syndrome de la « Little England » qui en est une des causes. Rien dans les paroles ne l’évoque directement, sans doute avais-je été influencé par le contexte politique de l’époque. C’est parfaitement plaisant et le contraste entre les manières de chanter de Neil et Olly est amusant à entendre, mais le propos et la mélodie sont un peu trop minces pour totalement convaincre.

 

5) Hoping For A Miracle (8,5)

Mon tempérament me fait en général préférer les chansons mélancoliques et lentes aux chansons euphoriques et rapides. On est ici en plein dans la veine introspective et sérieuse du groupe, sans doute ma préférée (voir par exemple Luna Park sur Fundamental). Ca faisait longtemps que les paroles d’une de leurs chansons ne m’avait pas semblé atteindre une forme d’universalité, ici les affres de la quarantaine quand les possibilités d’une renaissance, d’un changement de carrière, d’une réussite soudaine s’amenuisent (voire disparaissent) et où seul un miracle, un deus ex machina pourrait nous extraire de la vie que l’on s’est construite, ou qui s’est construite autour de nous,  malgré nous, à notre insu. C’est l’âge où l’on se surprend à rêver tout éveillé à d’autres destinées. 

Il s’agit en tout cas d’une chanson à laquelle une écoute distraite ne rend pas justice. J’en avais un souvenir plutôt négatif, comme un des points faibles de l’album, et en fait non, pas du tout. On y retrouve même une modulation, une forme de complexité harmonique comme ils n’en font plus guère depuis vingt ans. On peut noter que, dans les vingt dernières secondes, on entend au fond du mix quatre phrases prononcées par une voix trafiquée qui passe de l’aigu au grave et dont on ne sait trop si c’est celle de Neil ou de Chris (ou un mélange des deux).


(la suite ici)

mercredi, mai 6

Déconfinons les disques encore sous cellophane (I)

En ces temps de réouverture au monde, il m’apparaissait particulièrement indiqué de libérer de leur enfermement prolongé des disques qui, bien que posés sur une de mes étagères, n’avaient encore jamais connu l’air libre, la joie de sentir le vent glisser le long des sillons du vinyl ou raser la couverture laquée recouvrant le codage binaire d’un CD.

Comme je suis amateur de blindtests, je déconfine mes disques à l’aveugle. Une fois le disque sorti de l’étagère, je le déballe et le place dans la platine sans en regarder la pochette. A moi ensuite de fouiller à travers 500 ans de musique, aide de ce seul indice, moins discriminant qu’il le devrait, que, à une époque plus ou moins lointaine, j’avais considéré que posséder ce disque était une bonne idée.

Aujourd’hui, un digipack, sans doute acheté d’occasion car non cellophané. 10 morceaux, 39m21s.

Ma première pensée à l’entame du CD est qu’il doit s’agir d’un album de Charlotte Gainsbourg : même voix légèrement voilée, mêmes mélodies susurrées qui jamais n’utilisent d’intervalles trop grands, la voix utilisée comme nappe, couche sonore supérieure surnageant au-dessus d’un tapis de guitare et de claviers vaguement vaporeux.

Ensuite, le timbre de voix n’étant pas totalement celui de Charlotte, ce sont les guitares, parfois saturées, qui m’intriguent et me font un instant penser aux Breeders mais la voix ne correspondrait dès lors plus vraiment. Cette dernière me fait un instant penser à Drugstore mais la musique ne collerait pas plus, vaporeuse, fuzzy, presque shoegaze dans sa manière de sous-mixer les voix.

A ce stade de mes réflexions, je me retrouve environ à la moitié du CD et une connexion 4AD reste mon hypothèse de travail privilégiée, un groupe comme Lush ou Belly par exemple, dont je connais mal la carrière et le style, mais dont j’aurais tout à fait pu acheter le CD dans une solderie quelconque pour cause de simple attachement au label.

Je tends l’oreille et quelques bribes de paroles parviennent jusqu’à moi :  « You’re my/a terrrible friend. » Ca ne m’aide guère.

Plage 8 : coup de théâtre, les guitares prennent nettement le dessus sur les synthés et un homme prend le micro tandis que la voix féminine est, tout au plus, reléguée dans les chœurs. Le morceau se termine sur un long larsen. Les nappes de synthétiseurs semblent passées de mode lorsque le disque entame sa longue descente vers la dernière plage.

Ainsi, sur le neuvième morceau, une guitare joue des arpèges Marresques, une guitare rythmique des accords saturés, une batterie métronomique scande sa pulsation, tandis que flotte à nouveau par-dessus cette voix blanche et ce genre de mélodies étales qu’il serait impossible, même pendant que la chanson passe en arrière-plan, de chantonner tellement elle fait partie intégrante d’un tout, sans aucune vocation à prendre le dessus. Les instruments n’accompagnent pas la voix comme dans 80% de la pop, la voix est ici un instrument parmi d’autres et participe à ce même effort de générer une atmosphère d’attente, de suspension, à la fois euphorisante et enveloppante. A cause de la voix, je pense soudainement à Ladytron, avant de rejeter immédiatement l’idée : pas assez pop, pas assez glacé, pas assez synthétique.

CONCLUSION : Sans doute un disque des années 90, une connexion 4AD semble probable.

BEST GUESS : Lush

VERDICT : Plantage total. Aucun lien avec 4AD et sorti quinze ans plus tard que ce que je pensais. CD acheté 2€ au Point Culture.

https://www.discogs.com/The-Pains-Of-Being-Pure-At-Heart-Belong/master/322410



mercredi, juin 27

John Seabrook - The Song Machine: How to make a hit.

Le début du livre était pour moi le récit d'une histoire bien connue : comment, à partir de 1995, la pop mondiale a été progressivement dominée par le studio de compositeurs-producteurs suédois Cheiron assemblé par Denniz Pop et qui compta en ses rangs des noms comme Kristian Lundin et Max Martin. Je connaissais d'autant mieux cette histoire que cette révolution suédoise a eu un impact très fort dans mon parcours musical.

Après des années 90 passées exclusivement dans le giron rock indé de la Lenoirliste et des Inrocks, les années 1999-2000 furent celles où j'ai redécouvert le plaisir de la pop commerciale, notamment grâce au site et au forum Popjustice.

J'ai passionnément aimé Bye Bye Bye, Overprotected, Born to Make You Happy, I Want It That Way et des dizaines d'autres chansons du même genre sans l'ombre d'un début de second degré. Après dix années où les charts furent dominés par une dance music répétitive et dont la composante mélodique était le plus souvent insignifiante, je retrouvais enfin le plaisir des mélodies un peu complexes, des intervalles étranges (avec même parfois un soupçon de contrepoint). La pop commerciale de Britney Spears, des Backstreet Boys, de *NSYNC et des autres avait à nouveau pour ambition de faire chantonner sous sa douche et non plus seulement de faire danser en boîte. J'étais enfin libre de retrouver mon enthousiasme du milieu des années 80 pour la musique pop.

C'est notamment l'origine de cette réputation que j'ai d'aimer les boybands, réputation réelle mais qui amène des gens plus ou moins bien attentionnés à généraliser et à croire que je suis forcément fan des 2be3, de Boyzone ou de Worlds Apart alors que, non, évidemment, il n'y a presque rien à sauver de la carrière de ces groupes. En fait, ce que j'ai surtout aimé dans les boybands du tournant du siècle (américains et dans une moindre mesure anglais), c'est qu'ils furent le terrain de jeu idéal pour cette nouvelle génération de songwriters mercenaires et doués (les chansons de Blue par exemple, dont certaines que j'avais bien aimé, sont apparemment des production Stargate).

Tout cela pour dire que la première moitié du livre relate une histoire que j'ai vécue en temps réel jusqu'en 2004 environ, l'année de Since You Been Gone de Kelly Clarkson (dernière production-composition de Max Martin que j'ai découverte 'en direct'). Je n'y ai donc pas appris grand chose. Je connaissais déjà les noms des membres de Cheiron mais aussi celui de The Matrix par exemple, les compositeurs des premiers Avril Lavigne.

L'année 2004 fut par ailleurs celle où j'ai dû commencer à me consacrer plus intensivement à ma thèse et mes liens avec le musique, et particulièrement la pop, se sont temporairement relâchés. C'est pourquoi la seconde moitié du livre, de la K-Pop et Rihanna jusqu'à Katy Perry, m'a plus intéressé. Il relate l'évolution ultérieure de la fabrique à hits mondiale, notamment la relocalisation des studios sur la côte Ouest des États-Unis, la généralisation de la méthode industrielle de production-composition pop, l'opposition paroles et musiques laissant la place à celle entre track et hook, l'importance des topliners (la scène où Ester Dean entre dans la cabine d'enregistrement avec juste quelques phrases notées sur son téléphone est particulièrement révélatrice, et bien racontée), les camps d'écriture convoqués par les labels lors de la conception d'un nouvel album, etc... Bien que rien de tout cela ne m'ait véritablement surpris, j'ai été ravi de le voir décrit de manière aussi concise et claire.

Les chroniques de The Song Machine parues en France et en Belgique (je me souviens notamment de celle des Inrocks et de celle du Soir, payante) donnaient une vision très manichéenne de ces questions. Les producteurs et songwriters pop y étaient présentés comme de maléfiques créatures vivant dans l'ombre pour détruire à coup de mélodies faciles, l'authenticité du rock et la musique indépendante en général, prenant l'auditeur dans un piège neurologique dont il ne peut se défaire. J'y vois comme une sorte de malentendu. L'impression que je retire de ma lecture est plutôt une admiration, parfois un peu réticente mais réelle, pour les compositeurs-mélodistes, topliners, paroliers, etc.. L'avis de John Seabrook lui-même semble plus ambigu.

Des gens comme le duo norvégien Stargate, Max Martin ou Ester Dean par exemple me semblent ressortir de manière plutôt positive du livre : des artisans de l'ombre consciencieux et dotés d'un véritable don mélodique ou harmonique, qui ont su garder une forme d'humilité face à leur travail, malgré le succès monstrueux qu'ils ont fini par rencontrer (même si il semblerait, si on en croit Wikipedia en tout cas, qu'Ester Dean par exemple ait un peu disparu de la circulation en tant que compositrice depuis la sortie du livre).

En revanche, les financiers et les grandes corporations (du type Google, Spotify, Apple, etc...), les producteurs tentant de régir le moindre aspect de la carrière de leurs poulains (et surtout pouliches) sont dépeints de manière moins favorable. En particulier le détestable Lou Pearlman, dont je connaissais déjà bien l'histoire et qui a créé de toutes pièces les Backstreet Boys et *NSYNC entre autres, et Dr Luke (Lukas Gottwald dont le nom commençait déjà à circuler à l'époque où je m'intéressais de plus près à ces questions), qui à son rôle de compositeur-producteur a rapidement tenté de greffer celui de directeur de label, de promoteur, de manager et qui, par bien des points, me semble être le vrai méchant du livre : arriviste, ambitieux, ami de James Murdoch et finalement accusé de viol (et acquitté, ce que le livre ne dit pas, ayant été écrit avant la fin du procès).

De même, l'univers de la K-Pop pour lequel j'ai vu pas mal de monde s'enflammer depuis cinq ans, y est dépeint pour ce qu'il me semble être vu de l'extérieur, c'est-à-dire un monde assez déprimant, déshumanisé où les chanteurs et chanteuses ne sont que des marionnettes sans pouvoir (le suicide de Jonghyun en début d'année semble le confirmer), obstacle moral que la qualité encore très relative des chansons ne me permet pas d'outrepasser. Le livre annonce par ailleurs une arrivée prochaine des compositeurs-producteurs européens sur le marché de la K-Pop mais je n'ai pas encore eu l'occasion d'écouter les résultats d'un tel mélange. Je suis assez curieux.
 
Après avoir lu le livre, j'ai été frappé de voir que, même si j'ai perdu l'habitude ces dernières années d'aller voir les crédits des morceaux pop que j'entends, bon nombre de mes plus gros coups de coeur pop US récents ont été co-écrits et/ou co-produits par Max Martin : Roar, Hot'n'Cold, I Kissed A Girl de Katy Perry, Problem d'Ariana Grande, I Knew You Were Trouble de Taylor Swift,.... Mon oreille est donc resté sensible à son style. Intéressant aussi de voir que ce genre de pop semble devenir de plus en plus exclusivement féminine.

Du coup, ce livre m'a donné envie de me replonger dans le monde de la pop commerciale récente, de me pencher notamment sur les albums de Rihanna ou de Katy Perry, dont je ne connais que les plus gros singles. Pour des raisons peu claires (peut-être pour expier la manière dont je me suis désintéressé de la pop depuis dix ans), je ressens à présent un besoin de me faire une opinion d'ensemble sur leur carrière en écoutant attentivement les albums, c'est-à-dire en fait en leur accordant a priori le même intérêt, les mêmes égards qu'aux autres genres musicaux qui m'intéressent. Comme John Seabrook semble l'être, je suis en effet attaché au format de l'album et me méfie de sa disparition programmée (notamment par Apple et Spotify) au profit de la chanson unique ou, pire encore, de la playlist générée par algorithmes (une option de Spotify que je n'ai même jamais eu l'idée de tester).

En présentant  le genre CHR (contemporary hits radio) sans porter, me semble-t-il de jugement surplombant, The Song Machine m'a redonné l'envie de m'y confronter à nouveau, comme je le faisais à l'époque, avec un esprit ouvert, en ne m'interdisant a priori aucun enthousiasme et aucune déception. Je me demande si je pourrai retrouver cet état d'euphorie pop qui fut le mien qui fut le mien en 2000. Je l'espère.

mardi, septembre 20

Pet Shop Boys - Super (IV)

(lire la chronique depuis le début)

11. Burn (3m53s) - 10/10

Nous arrivons ici au point de cette chronique où je dois humblement avouer que je vous raconte, consciemment ou inconsciemment, n'importe quoi depuis trois pages. Je vous ai dit que c'est en utilisant son registre grave que Neil parvenait encore à me toucher et bien ici, il chante dans son registre le plus haut et c'est formidable. Je vous ai aussi dit que l'album n'était jamais aussi bon que quand il s'éloignait des canons de la dance formatée pour les clubs, faisait passer le beat en arrière-plan et osait jouer sur la subtilité et les mélodies ciselées pop, et bien ici, on est en plein dans le cœur de cible dance pour voitures décapotables et trance pouèt-pouèt de la seconde moitié des années 90 et c'est formidable.

Pourquoi ? Je n'en sais rien. Tout ce que je peux vous dire est que je pourrais passer des heures à chanter 'We're gonna burn this disco down before the morning comes' et à sentir le coup de timbale qui suit me traverser le corps dans un "eargasm" sans cesse renouvelé.

C'est cela aussi se coltiner à des œuvres: accepter de ne pas comprendre ce qui fait qu'elles nous parlent ou pas et admettre les contradictions qu'elles révèlent en nous. Je suis complètement sans défense face à l'euphorie tribale que génère ce morceau. C'est ainsi. Il faut l'accepter. Malgré tous les efforts de mon surmoi hypertrophié, mes plus bas instincts ont besoin parfois de trouver leur exutoire. C'est (comme) ça.

Il faudra d'ailleurs que je vous cause un jour de ma nouvelle manière de me dandiner sur ma chaise. Depuis quelques semaines, quand j'écoute un disque et que le démon de la danse me tenaille, mes bras sont devenus mobiles : des épaules au poignets, tout se désarticule et bouge dans tous les sens, sans considération aucune pour la symétrie, la bienséance et la dignité.  Ma gestuelle flirte même dangereusement avec le ridicule, à tel point que j'ai dû me résoudre à masquer la caméra de mon portable, de peur qu'un hacker mal intentionné ne me transforme en meme viral.


12. Into Thin Air (4m17s) - 9/10

Après cette incroyable célébration de l'instant présent, de l'oubli qu'il est possible de trouver dans l'ici et le maintenant, de la capacité de la musique de nous soustraire pour un temps au monde qui nous entoure, le caractère désespérant de ce dernier se rappelle à nous dans ce dernier morceau où Neil chante son envie de s'évanouir dans l'air et de disparaître. Je retrouve dans ce morceau la veine gentiment expérimentale (disons aventureuse plutôt, vu que le terme expérimental, employé à tort et à travers depuis  un demi-siècle, ne veut plus dire grand chose dans un contexte musical) que peut parfois prendre la musique des Pet Shop Boys (de The Sound of The Atom Splitting à Boy Strange en passant par Legacy). Après une introduction aux confins de le drum'n'bass, Neil chante une mélodie désespérée, rêvant d'un ailleurs indéfinissable. A 2m43s survient le deuxième instant de grâce de l'album, 23 secondes de pur bonheur auditif que je serais bien en peine de vous décrire (z'avez qu'à écouter aussi, bande de feignasses si vous voulez savoir à quoi ça ressemble). La chanson se termine par un ralentissement progressif de la pulsation, comme si les vœux exprimés dans les paroles étaient sur le point d'être exaucés. Tout cela pourrait sembler morbide mais en fait non, cette chanson sur l'envie d'en finir est étrangement euphorisante.


Tout comme cet album qui représente pour moi une vraie bonne surprise. Ce groupe que j'avais cru perdre il y a trois ans, je le retrouve si pas totalement au sommet de son art (Super n'est pas Behaviour ou Fundamental) en tout cas en bien meilleure forme que je ne l'avais craint, avec un moyenne arithmétique de 7,7/10 sur l'ensemble des douze morceaux.

Neil Tennant, Chris Lowe et Stuart Price, s'ils continuent à exploiter le filon dance qui leur avait si bien réussi (commercialement parlant) avec Electric, ne s'enferment pas pour autant dans un carcan. Des chansons comme The Dictator Decides, Sad Robot et Into Thin Air montrent que leur volonté de défricher et de surprendre reste intacte. Mieux, quand ils décident d'utiliser les outils de la dance music, ils le font le plus souvent avec une certaine subtilité, en ne mettant pas la pulsation trop en avant et en n'abusant pas des sonorités typiquement trance, euro-dance tellement familières des amateurs du genre qu'elles en deviennent la roue de secours des DJs en manque d'inspiration

Aujourd'hui, je retrouve donc avec joie mon deuxième groupe préféré du monde. Je ne suis pas sûr si c'est parce qu'ils se sont à nouveau ralliés à mon (bon) goût inamovible et indiscutable ou si c'est moi qui, supportant mal l'instance de séparation qu'avait représenté le précédent album, me suis inconsciemment réconcilié avec le genre de musique qu'ils ont envie de produire en ce moment. Sans doute un peu des deux. Super me paraît indéniablement moins rentre-dedans et plus varié qu'Electric mais il est sans doute vrai aussi que j'aurais moins facilement excusé une chanson comme Say It To Me il y a cinq ans.

Pour paraphraser une prière très populaire aux Etats-Unis : "We need to accept the things we cannot change, the courage to change the things we can, and the wisdom to know the difference." Comme Neil et Chris se foutent allègrement de ce que je pense, il fallait bien que je fasse le premier pas. Je l'ai donc fait. Ma grandeur d'âme est admirable !


Pet Shop Boys - Super (III)

(lire la chronique depuis le début)

7. Inner Sanctum (4m18s) - 8/10

C'est avec ce morceau que le groupe avait annoncé la sortie de Super, tout comme Axis avait annoncé celle du précédent album Electric. Il s'agit d'un morceau quasiment instrumental qui annonce bien le thème général de l'album : les joies du clubbing (les rares paroles sont d'ailleurs essentiellement un prolongement de celles de Groovy). Ce qui me plaît dans ce morceau est que durant les trois premières minutes, bien qu'il s'agit indéniablement d'un morceau orienté dance-floor, la pulsation en est absente ou à tout le moins très en retrait dans le mix. J'aime bien quand la dance music se fait ainsi plus subtile, et laisse l'auditeur libre d'interpréter les stimuli auditifs et d'élaborer à sa guise les mouvements de son corps que ces stimulis lui inspirent. Chacun peut bouger sur Inner Sanctum à sa manière (voire ne pas bouger du tout, la bonne musique dance est celle qui peut aussi simplement s'écouter). La seconde moitié du morceau délaisse un peu ces contrées minimales pour une construction trance plus classique (on n'est plus très loin de Paul Oakenfold et consorts à partir de 2m23s) mais cela ne dure pas longtemps et se trouve en partie justifié par le contraste avec ce qui précède.

8. Undertow (4m15s) - 8/10

Je ne suis pas sûr de pouvoir expliquer pourquoi mais ce morceau sonne pour moi extrêmement rétro. J'ai l'impression qu'il aurait pu se trouver sur Please, le premier album du groupe en 1986. La manière dont couplet et refrain se répondent, les intonations de Neil, tout me ramène à la genèse du groupe, à une époque où ils relevaient exclusivement de la pure pop et, effectivement, Undertow est sans doute la chanson de l'album la plus éloignée des dance-floors

Peut-être est-ce aussi en partie dû au fait que thématiquement, cette chanson vient enrichir le propos de morceaux anciens comme Love Comes Quickly (l'amour débarque sans prévenir et finit toujours par vous atteindre) et Love Is A Catastrophe (l'amour fait et finit mal) en y ajoutant une nuance de danger (l'amour est un courant marin qui vous emporte malgré vous vers le large, loin du confort et de la rive et risque si vous n'y prenez garde de vous entraîner au fond de l'océan). La discographie du groupe contient ainsi quelques groupes de chansons qui, sur trente ans, se répondent et se complètent (cfr aussi ce que j'appelle leur veine autobiographique : Opportunities, To Step Aside, Shameless, Samurai In Autumn, Invisible,....). C'est entre autres choses ce qui fait la richesse et assure la cohérence de leur oeuvre et m'autorise à penser que, contrairement à beaucoup d'autres groupes pop, les Pet Shop Boys font oeuvre d'auteurs.

9. Sad Robot World (3m18s) - 7/10

Changement d'atmosphère complet. La pulsation ralentit, l'atmosphère se fait ici glaciale, métallique, pleine d'échos et de silence, la description d'un monde de machines et de robots qui n'est pas sans rappeler les premières minutes de Wall-E. J'aime particulièrement la manière dont les mots 'Sad Robot' sont chantés d'une voix claire et aiguë, alors que le 'World' est murmuré d'une voix grave, brouillant la frontière entre "robot triste" et "triste monde robotisé" et transformant ainsi cette description de notre société moderne en le portrait psychologique d'un automate doté de sentiments et souffrant de sa solitude.

Les Pet Shop Boys ont déjà produit sur de tels prémisses sonores des chansons majeures (Luna Park pour ne citer qu'elle). On n'atteint pas ici tout à fait les mêmes sommets, malgré un joli petit intermède instrumental à 2m04s. La mélodie est trop évidente, retombant à la fin de presque chaque phrase sur les notes de tonique et de dominante (ou en tout cas des notes qui n'appellent pas de résolution, je ne vais pas trop m'avancer dans l'analyse) et ne parvenant donc pas à construire un discours sur plusieurs strophes, à générer du mystère. La pesanteur rattrape un peu trop facilement ce qui aurait dû être une chanson en suspension. Quant à la question de savoir pourquoi il me semble évident qu'une chanson sur la robotique devrait être suspendue dans l'éther, je suis sûr qu'elle passionnerait mon éventuel analyste.

10. Say It To Me (3m08s) -  6/10

De toutes les chansons de Super, c'est celle qui me semble retomber le plus dans les facilités du précédent album, avec cet enchaînement sans âme de grosses ficelles dance. A peu près tous les éléments sonores de cette chanson pourraient se retrouver à l'identique sur une compile "Total Ibiza 24 (42 Massive Balearic Bangers)" de 2001. Je n'y retrouve pour ainsi dire rien de l'univers du groupe. Même le texte (sur l'impénétrabilité de l'être aimé, dont les pensées et les sentiments les plus profonds nous restent inaccessibles) est d'une grande platitude. Bon, cela dit, si on accepte de n'y voir qu'un morceau de dance générique, il se situe dans une moyenne honorable, quelque part dans le deuxième cinquième du catalogue de David Guetta, mais y a-t-il là de quoi se réjouir ?

(la suite ici)

Pet Shop Boys - Super (II)

(lire la chronique depuis le début)

3. Twenty-Something (4m21s) - 8/10

Pour autant que je puisse juger des paroles, assez elliptiques, la chanson s'adresse à la deuxième personne aux duogénaires/vingtenaires démarrant leur vie adulte dans une grande ville (comme Londres), que ce soit les jeunes loups de l'économie numérique vivant la grande vie ou ceux qui galèrent dans de petits boulots. Les uns comme les autres doivent trouver leur voie dans un monde où l'individualisme, la superficialité et l'esprit de lucre dominent. Certes, cela n'est pas l'analyse sociologique la plus fine qui soit (le Nouvel Obs a sans doute ficelé en deux jours un dossier sur le même sujet durant l'été 2003) mais il y a une certaine logique à exprimer tout cela par des phrases courtes qui s'enchaînent comme des légendes Instagram.

Musicalement, c'est le premier exemple de construction duale, couplets et refrains composés sur le mode de l'opposition mélodies plates/escarpées, montantes/descendantes, beats insistants/en retrait, rapide/lent,.... (je soupçonne aussi une modulation mais mon oreille musicale n'est pas assez sûre pour que je puisse en jurer). La chanson commence par un riff de synthé dont le caractère bondissant et enjoué frôle la caricature, mélodie autour de laquelle s'enroule le chant de Neil. Suit alors une section où la mélodie se fait plus étale, plus mystérieuse tandis qu'en arrière-plan des voix (sans doute synthétiques) se mêlent dans un enchaînement harmonique ascensionnel qui suscite cette euphorie triste qui caractérise les meilleures chansons du groupe. Le seul reproche que je pourrais faire à cette chanson est le caractère trop insistant de la batterie, qu'ils ont cependant le bon goût de faire totalement disparaître pendant un couplet (à moins que ce ne soit un refrain, différencier couplet et refrain dans ce morceau me semble essentiellement arbitraire)

4. Groovy (3m29s) - 6,5/10

Une des conséquences de la StuartPricisation de la musique des Pet Shop Boys est la multiplication de ces morceaux qui sont plus des intermèdes instrumentaux que des chansons à part entière. Ici, malgré une longueur tout à fait respectable et deux couplets, le morceau n'est clairement qu'une respiration entre deux chansons plus ambitieuses. Neil y recycle la voix volontairement geignarde qu'il utilise depuis The Only One pour se moquer des personnages ridicules ou simplement pénibles qu'il interprète dans ses chansons. Difficile de ne pas voir ici une critique amusée teintée d'admiration contrariée envers ceux (et celles) qui font le spectacle en discothèque, exhibant leurs qualités de danseur et leur charme naturel. "Je suis trop... Regardez-moi... Je suis trop... Regardez-moi... Je suis trop groovy." La chanson fonctionne d'autant mieux qu'elle donne effectivement envie de se dandiner, même aux mélomanes les moins enclins à se laisser cannibaliser le cerveau reptilien par un beat sauvage (voir par exemple le passage à 2m43s).

5. The Dictator Decides (4m50s) - 9,5/10

Cette chanson, clairement la plus ambitieuse de l'album, contient ce que je n'espérais plus vraiment trouver dans un album des Pet Shop Boys : un texte raisonnablement long, qui raconte une histoire (comme l'étaient Being Boring, This Must Be The Place ou My October Symphony par exemple), dans lequel Neil se glisse dans la peau d'un personnage. Il s'agit ici d'un dictateur (sans doute inspiré par "so rone-ry" Kim Jong-Un), lassé de son rôle et appelant de ses vœux une révolution qui lui ôterait l'absolu fardeau de ce pouvoir absolu.

Elle commence par une intro instrumentale de 1m30s. Dans un premier temps, le rythme y est martial. On entend en arrière-plan les clameurs d'une foule enthousiaste et le bruit des machines qui travaillent à l'édification des monuments du pays, à lui redonner grandeur et prestige (on pense un peu à l'intro de Wot! par Captain Sensible). Des notes de synthétiseur viennent ensuite tempérer cet enthousiasme bâtisseur avant que, à 1m08s l'ambiance se fasse soudainement plus insituable : la pulsation disparaît, des mélismes de synthé suspendent l'attention et s'installe une mélodie qui ne sait choisir entre le triste et le gai, le grave et l'aigu. L'auditeur ne sachant plus trop ce qu'il est censé ressentir, Neil peut entrer en scène pour réconcilier ces contraires et exprimer le paradoxe de ce despote épuisé.

Une des grandes qualités de cet album est que Neil y utilise, plus que jamais, son registre grave, honteusement sous-exploité au début de sa carrière et que, malgré la perte de qualité de sa voix dans les aigus depuis quinze ans, il rechignait à utiliser jusqu'à très récemment. Cette voix grave, moins timbrée, moins typiquement PSB, convient parfaitement au sentiment de lassitude qu'elle est censée exprimer. De même, la manière dont la pulsation disparaît à l'improviste (2m42s) avant d'être réintroduite de manière un peu surjouée (à 3m03s, où la symbolique du bruit de rivière, je l'avoue, m'échappe) exprime pour moi parfaitement les accès de découragement et les reprises en main forcées qui s'ensuivent, quand après s'être apitoyé sur son sort, on est bien obligé de s'y remettre.

Enfin, le sommet de l'album est pour moi la séquence finale de 30 secondes, basée sur un sample de voix féminine, qui est dans un premier temps diffusé dans toute sa pureté avant d'être progressivement manipulé électroniquement, donnant l'impression qu'une soudaine envie de pleurer étouffe le chant dans la gorge de la chanteuse. C'est beau à tomber.

6. Pazzo! (2m44s) - 6/10

Ce deuxième intermède essentiellement instrumental est le morceau le plus frustrant de l'album. Il est basé sur une lente montée de la tension, une rythmique dance assez basique se métamorphosant progressivement en une sorte de tourbillon synthétique qui malheureusement retombe trop vite. J'aurais aimé que le morceau dure 2 minutes de plus de plus et pousse plus loin cette logique d'empilement et de foisonnement d'éléments sonores.  En l'état, le morceau me laisse sur ma faim.

(la suite ici)

Pet Shop Boys - Super (I)

Super est le deuxième album d'un triptyque conçu par les Pet Shop Boys en collaboration avec Stuart Price. En 2013, le premier opus, Electric, m'avait laissé un souvenir mitigé. Il sonnait bien mais me paraissait trop orienté dance-floor et manquant de substance dans l'écriture. J'avais même écrit à l'époque que j'appréhendais la sortie de l'album suivant si ces partis-pris devaient se confirmer.

Et bien, trois ans plus tard, nous y sommes. Super est arrivé et, attention spoiler!, je l'aime beaucoup. Neil, Chris et Stuart ont-ils comme par miracle évité tous les pièges que je prévoyais il y a trois ans ou bien est-ce moi qui ai changé et revu mes espérances à la baisse ? A vrai dire, je n'en sais trop rien pour l'instant. Je vous livre juste ma première impression à l'état brut et, comme un névrosé chronique se couchant pour la première fois sur le divan, j'ai le vague espoir que le travail d'analyse que je me prépare à effectuer pour cette chronique me permettra d'y voir plus clair.

Un élément doit me semble-t-il être posé d'emblée. Super et Electric partagent un même thème : la dance-music de la fin des années 80 et du début des années 90, la nostalgie d'une époque où l'expérience collective de la musique dans les rave parties (je précise 'parties' pour ne pas trop émoustiller les fanatiques du céleri qui arriveraient ici après un frénétique Googlage végétalien) unissait les clubbers dans un idéal d'hédonisme optimiste. Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire, je suis passé complètement à côté de ce mouvement, trop occupé à l'époque à écouter Dead Can Dance en arborant un faux air mystérieux. Thématiquement, ce disque ne me parle donc guère plus que le précédent.

Si j'aime cet album, cela doit donc être en dépit de son sujet et donc aussi essentiellement en dépit de ses textes. Alors pourquoi ? Serait-ce la production (la manière en particulier dont les beats sont traités, souvent sous-mixés, voire par moments totalement absents) ? Les mélodies ? L'humour et l'auto-dérision ? Ou bien à cause des deux ou trois chansons qui échappent à ce corset de nostalgie pour la musique du passé et se confrontent au monde actuel ?

Pour ceux qui voudraient se faire leur propre opinion (drôle d'idée vu que vous vous apprêtez à prendre connaissance de l'opinion définitive sur le sujet, mais bon, chacun fait ce qu'il veut), vous pouvez utiliser Youtube ou le lecteur Spotify ci-dessous.




1. Happiness (4m04s) - 7.5/10

Le chemin vers le bonheur est long mais je le suivrai jusqu'au bout. Tel est en substance le propos de ce morceau d'ouverture qui relève clairement de cette veine de chansons aux textes a priori ineptes mais que la musique vient corroborer et amplifier jusqu'à en faire une déclaration d'intention. Dans ce morceau, la musique mène effectivement au bonheur, ou en tout cas à une illusion de bonheur via la répétition des motifs ainsi qu'une production en crescendo qui complexifie les rythmes (voir notamment à 2m24s où derrière une bonne grosse basse dubstep, une note se répète selon un rythme difficilement compatible avec les canons habituels de la dance music) et rajoute couche sonore sur couche sonore jusqu'à obtenir un agréable sentiment de satiété, sans pour autant mener à l'indigestion de rythmes binaires. Par ailleurs, Neil y épelle le titre, un procédé d'écriture dont le groupe est depuis longtemps passé maître (Shopping, Minimal,....).

2. The Pop Kids (3m55s) - 7/10

Ce premier single exprime la substantifique moëlle de l'album, les paroles narrant à la première personne du pluriel les joies du clubbing au début des années 90. On peut y entendre les quatre plus mauvaises rimes de toute la carrière de Neil Tennant : 'I studied history, while you did biology. To you the human body didn't hold any mystery'. A chaque fois que je l'entends, j'ai les intestins qui se contractent, comme si l'opprobre que susciteront ces paroles ineptes chez tous les êtres munis de sensibilité artistique m'était personnellement destiné.

On y trouve aussi l'énième itération de ce qui est devenu un cliché de l'univers thématique des PSB : l'opposition rock-pop. 'We were so sophisticated, telling everyone we knew that rock was overrated', sauf qu'ici cette opposition rock-pop devient essentiellement une opposition rock-dance, un glissement que je ne peux que déplorer. Quitte à me répéter (une fois tous les trois ans, ça reste une fréquence de radotage très acceptable), la pop dans se version la plus pure n'est pas pour moi plus proche de la dance-music que du rock. Musiques rock et dance se retrouvent dans la manière qu'elles ont de s'adresser en premier lieu au corps, que ce soit par l'intermédiaire de la danse, du headbanging, du pogo ou du saut de cabri (toutes pratiques auxquelles je peux m'adonner avec plaisir). La pop au contraire est une musique qui s'adresse en premier lieu au cerveau et principalement aux zones du plaisir auditif immédiat. Un bon morceau pop ne se danse pas, il se chantonne, il reste dans l'oreille et s'incruste dans votre esprit pendant des jours (en ce sens, de nombreux morceaux rock et dance sont par ailleurs aussi des morceaux pop, mais c'est un autre débat). J'aurais donc préféré que le titre de ce single soit The Dance Kids, cela m'aurait semblé mieux coller au propos.

Cela étant dit, la chanson n'est pas sans qualités, avec notamment un troisième couplet en suspension, semi-parlé, qui représente une respiration bienvenue au milieu de ce qui est sans doute un des deux morceaux de l'album dont la production est la plus (sans doute volontairement) datée : chœurs wooh-ah tendance Ibiza-Before, riffs de piano euro-dance circa 94, clochettes rappelant Always on My Mind,....).

(la suite ici)

mercredi, février 17

We Are The Dance Kids

Chroniquer les sorties des Pet Shop Boys, telle est ma croix et je continuerai à la porter pour illuminer le monde. Après Inner Sanctum, un teaser quasi-instrumental qui fleurait bon la deep-house (ou un truc du genre) et qui aurait pu être une honnête face B au début des années 90, voici à présent The Pop Kids, le premier vrai single de l'album, Super, prévu pour le 1er avril. Tout d'abord, le titre est honteusement mensonger. Depuis quelques années, et surtout depuis le dernier album Electric, dont j'ai déjà longuement parlé ici, j'ai la furieuse impression que ce pauvre Neil est devenu incapable de faire la différence entre 'pop music' et 'dance music'. Cette nouvelle chanson n'est en rien une ode à la pop, c'est une ode au clubbing et à la dance-music et les deux représentent deux styles musicaux aux intentions totalement divergentes, voire antagonistes (l'explosion dance des années 90 explique pour moi en grande partie pourquoi ce fut la pire décennie pour la musique pop..... et les années 2010 prennent malheureusement le même chemin). Du coup, il n'y a guère que dans la phrase "We knew that rock was overrated" que je me retrouve un peu car lutter contre l'hégémonie du rock et le sentiment de supériorité de ses fans est sans doute le seul combat qui pouvaient rassembler la pop et la dance de cette époque.

D'un autre côté, il faut au moins reconnaître à la chanson qu'elle est cohérente. Elle se présente dans ces paroles comme une célébration du clubbing et de la dan(s/c)e du début des années 90 et sa construction le reflète bien. Les sonorités utilisées sont identiques à celles que les paroles célèbrent (le riff au piano/synthé à 0m53s est plus 1994 que Friends, The Lion King ou Pulp Fiction). Cela étant dit, la production est effectivement plutôt meilleure, moins envahissante, que sur certaines chansons du précédent album (Love Is A Bourgeois Construct en particulier) mais il semblerait bien que la production ait dans le processus d'écriture des Pet Shop Boys définitivement pris le pas sur les mélodies parce que celles-ci sont ici furieusement absentes. Les parties chantées sont d'une totale insignifiance et le pire est que c'est peut-être volontaire, pour ne pas distraire l'auditeur de la basse et de la pulsation qui sous-tend l'ensemble. La seule mélodie que l'on pourrait à la limite chantonner après une écoute tient sur deux notes (allez, peut-être trois si je suis d'oreille généreuse).

Ce groupe est en train de me filer entre les doigts et cela m'attriste grandement. Je suppose que l'accueil critique délirant et les ventes, plutôt meilleures, de leur dernier album qui s'égarait déjà dans ces contrées rendait la chose quasiment inévitable. Il fut un temps où les Pet Shop Boys concevaient chaque album comme le contre-pied du précédent (de Behaviour à Very, de Very à Bilingual et de Nightlife à Release,....) mais ça c'était avant, c'était le bon temps, de quand ils étaient encore jeunes et fringants.

jeudi, décembre 17

C'est Noël, c'est Noël, c'est Noël

Peut-être finalement que le seul tort d'Enya, la seule raison pour laquelle elle est aujourd'hui universellement moquée, c'est qu'elle est arrivée quinze ans avant qu'Olafur Arnalds et Max Richter, entre autres, convainquent les hipsters et les ayatollahs du bon goût que la consonance lénifiante était un art délicat qui demandait un immeeeeense talent.

(Bon, ça et les superpositions de voix tout de même, dont elle abuse un peu).

Hier, il m'est pris irrépressible envie de réécouter l'album d'elle que je possédais et qui n'avait plus eu les honneurs de la platine depuis au moins quinze ans et, à tout prendre, ceci module et surprend plus que n'importe quelle oeuvre des deux précités, tout en ne se prenant pas pour plus que ce n'est.

Certains trouveront sans doute que je m'acharne sur ce pauvre Max Richter qui, s'il n'a pas inventé l'échelle, ne fait au fond de mal à personne. Sans doute, mais il y a dans le parcours de ce type que j'ai vu jouer dans une cave à Hasselt lors d'un Festival Fat Cat et qui se retrouve à présent à sortir des luxueux  coffrets velours sur Deutsche Grammophon quelque chose qui me dérange vraiment. Je ne comprends pas comment il peut être pris au sérieux en composant ce genre de musique, vide et morte.



Par ailleurs,  j'ai entendu, l'année dernière encore, un client demander à un vendeur de la FNAC pour acheter une célèbre chanson de Noël (l'année dernière, un client qui voulait "acheter" une chanson, c'est aussi ça la magie de Noël). Vu sa description, je suis sûr que c'était ceci qu'il cherchait, un des plus célèbres "misheard lyrics" de la musique populaire. 



Je ne suis pas sûr que ceci méritait de faire sortir un blog de deux années d'hibernation, mais ça ne rentrait pas dans un tweet. Bonjour aux vingt-trois courageux lecteurs qui, à l'heure des réseaux sociaux, de Spotify et du click-baiting, continuent à lire des blogs musicaux amateurs.

dimanche, août 17

Darkside, Pukkelpop, 16 août 2014


Il fut un temps, pas si lointain, où j'avais le verbe aisé et la plume alerte et où chaque festival donnait lieu à un compte-rendu kilométrique (vous en trouverez encore des traces en utilisant les tags de ce blog).

Aujourd'hui, je préfère utiliser Twitter et poster des photos prises à l'aide de mon téléphone portable, le plus souvent floues pour faire vrai (photos-vérité, sans trucage, le réel à l'état brut), d'autant que réagir en temps réel permet une interaction immédiate avec les autres festivaliers et oblige à faire court, ce qui est rarement un mal, comme le prouvera encore ce billet.

Néanmoins, je renoue avec mes anciennes habitudes pour ce concert de Darkside hier soir à 20h45 au Marquee, qui m'a tellement plu, et désarçonné, que je me sens obligé d'en parler plus longuement.

Une confidence pour commencer : alors que j'écris ces lignes, je ne sais absolument rien de Darkside. C'est un de ces groupes que je suis allé voir simplement parce que j'avais un trou dans mon planning et que la tente était idéalement placée. Je n'avais pas la moindre idée de ce que j'allais voir ou entendre.


Lorsque le concert commence, la scène est plongée dans le noir. Des arpèges de synthé se font entendre, puis quelques notes de guitare qui se développent en une sorte de long solo Knopflérien. Je suis déjà hypnotisé, sans bien savoir pourquoi. Je passerai l'heure de concert à tenter de comprendre.

Commençons l'enquête en décrivant les protagonistes sur scène. A droite, un bellâtre fait face à un synthé et quelques autres machines à manettes, voyants, leviers et/ou boutons. A gauche, un type avec la coiffure de Jean Teulé a une guitare en bandoulière et se tient devant une autre machine à l'allure vaguement synthétisiforme. à laquelle il touchera finalement assez peu.

La musique produite par le duo est difficilement descriptible et, même en cette période de pré-rentrée scolaire, je peine à coller sur elle une jolie étiquette toute faite : empruntant clairement sa trame à la techno, bifurquant par moments vers le post-punk (le bellâtre de droite chante sur certains morceaux, avec une voix qui fait irrésistiblement penser à Alan Vega) ou vers la musique psychédélique, grâce à certains longs solos de guitare.

Un tel mélange de guitares et d'électronique n'a rien de neuf (d'autant qu'en cette époque post-post-moderne, tout se mélange avec tout) mais la disposition scénique, le fait que les musiciens ne sont que deux sur scène et que chacun se cantonne dans son rôle rendent cette juxtaposition extrêmement parlante, presque programmatique. Je n'ai jamais vu un concert aussi ancré dans une opposition conceptuelle, presque un affrontement, entre deux types de musiciens et, partant, de musiques. Pourtant, cet affrontement, visuellement très fort, entre deux styles produit au final une musique extrêmement homogène.

Dans l'ensemble, le set fait plutôt dans la délicatesse et l'ornementation. On est ici  loin de la techno bourrine dont nous ont gratifié certains autres artistes présents à l'affiche du Pukkelpop cette année (Forest Swords, c'est à vous que je pense, j'ai dû partir après cinq minutes, tellement les basses étaient insoutenables). Un beat régulier en infra-basse fait bien parfois ici aussi son apparition, faisant trembler plancher, os, vêtements et bouchons d'oreille, mais presque toujours pour moins longtemps qu'on ne le croit. J'ai même une fois compté le nombre de beats, et ce n'était pas un multiple de huit, c'est dire à quel point on se situe ici dans le domaine de l'expérimentation la plus débridée.

Le bellâtre (je ne vais quand même pas aller chercher son nom sur Wikipedia alors que j'en suis déjà presque à la moitié de mon billet, ça n'en vaut plus la peine) a l'intelligence de se servir de ces sons qui font physiquement entrer le spectateur dans la musique (ou plus exactement entrer la musique dans le spectateur) mais sans en abuser, parce que ces sons ont aussi une fâcheuse tendance à couvrir tout le reste (en tout cas pour moi, parce que cela ne semble guère gêner les gens qui m'entourent).

En effet, le public, très nombreux (et criant son enthousiasme au début de certains morceaux, ce qui tend à prouver l'existence de 'tubes', soit à cause de passages à la radio, de vidéos Youtube ou d'utilisation dans des séries ou films à la mode), dodeline de la tête, marquant souvent la pulsation d'un mouvement d'épaules chaloupé, voire d'un mouvement pseudo-coïtal du bassin (le bellâtre sur scène est par ailleurs également très porté sur les mouvements pseudo-coïtaux du bassin) mais ne s'enflamme véritablement que lorsque la surpuissante pulsation de basse réapparaît, c'est-à-dire justement quand je suis forcé de décrocher parce que je perds le fil de ce que la musique raconte. Ces passages sont clairement conçus comme des sommets, mais des sommets qui me restent inaccessibles parce que la musique cesse pour moi d'exister dès qu'ils sont atteints.

NB : Ceci était le passage Calimero de mon billet... ("Cali-quoi ?" répondront mes plus jeunes lecteurs... "Eh, arrête de croire que tu as de jeunes lecteurs !", diront les autres).

J'ai donc aussi vécu ce concert comme un grand moment de solitude, réagissant à contre-temps, ou à contre-courant, des milliers de personnes qui m'entouraient, tentant d'intellectualiser ce que je ressentais, ce que je croyais ressentir ou, pis encore, ce que je pensais de ce que je ressentais, tandis que tout autour de moi, la foule vivait la musique à un niveau plus basique, réagissant aux stimuli rythmiques, sans avoir l'air de se poser de questions en totale communion avec la musique.

Pourtant, malgré cet étrange sentiment d'aliénation, j'ai passionnément aimé cette heure au Marquee. D'ailleurs, et je termine ce billet comme je l'ai commencé, par une confidence, je le maîtrisais bien aussi, ce mouvement d'épaule (et quelle chaleur dans celui-ci !). Il paraîtrait même que j'ai gentiment tapoté le plancher du talon, bien que les témoignages divergent sur ce point.



Ci-dessous : le set de Darkside au Pitchfork festival à Paris, un set auquel, à moins que vous n'ayez trafiqué votre ordinateur ou votre tablette pour frimer dans des conventions de tuning  il manquera la puissance des pulsations de basse mais qui donne une bonne idée du potentiel de fascination de la musique de Nicolas et Dave (parce que oui, ils s'appellent Nicolas et Dave...... je n'aurais pas dû aller chercher leur nom sur Wikipedia, le "bellâtre" et le "sosie de Jean Teulé" étaient des noms bien plus nimbés de mystère). 


mercredi, mai 21

Dirge, La Zone, Liège, 18 mai 2014

J'ai toujours vécu à Liège et ai assisté, dirais-je, à environ 200 concerts. Pourtant, c'était la première fois ce dimanche que j'allais à la Zone, une des trois ou quatre salles de concert historiques de la ville.

Les raisons en sont multiples. Pour commencer, je suis un adepte des groupes "du milieu", ceux dont la notoriété est déjà en partie acquise mais qui jouent encore dans des salles à taille humaine. En conséquence, mes habitudes me poussent surtout vers des salles bruxelloises comme le Botanique ou l'Ancienne Belgique, qui doivent à elles deux représenter environ les trois quarts des concerts auxquels j'ai assisté.

Ensuite, la Zone se spécialise dans les musiques alternatives, terme vague mais qui me semble assez différent de celui de musiques indépendantes, qui regroupe la majorité des groupes que j'écoute. Cette différence que je fais entre les deux termes n'existe peut-être que pour moi-même, mais si je devais la résumer en quelques mots, je dirais qu'il y a dans ma notion de musiques alternatives un caractère de contestation politique, ou en tout cas de discours sur la société, qui n'existe pas vraiment dans la musique indépendante, terme qui désigne essentiellement un mode de production et de diffusion de la musique différent de celui des majors mais dont la finalité reste au bout du compte de faire connaître les groupes et les artistes au plus grand nombre.

Pendant longtemps, le terme de musiques alternatives a donc surtout désigné pour moi toute la scène punkoïde française liée à Boucherie Productions. Les musiques alternatives sont également indissociables dans mon esprit à une notion de tribu, à des genres et des sous-genres qui vivent en vase clos, se méfiant instinctivement de toute récupération commerciale ou de toute visibilité médiatique excessive (là où trop souvent les groupes indépendants vendent leur âme au diable une fois que le succès commercial arrive).

Vu sous cet angle, la scène métal et tous ses dérivés me semblent bien rentrer dans cette définition des musiques alternatives : labels dédiés, magazines dédiés, émissions radio dédiées, festivals dédiés ou scènes dédiées dans les festivals généralistes (on pourrait d'ailleurs monter un argument selon lequel la scène techno/clubbing est aussi une scène alternative, même si nettement moins intéressante). Le public métal a son look, ses codes, ses icônes, ses lieux de concert (la Zone en fait partie) et il se mélange rarement aux autres. Bien que j'écoute du métal, plus souvent peut-être que les gens qui me connaissent pourraient le croire, je n'ai côtoyé les métalleux qu'à de très rares occasions : un concert d'Opeth au Pukkelpop l'année dernière, un concert de Sunn O))) à l'Ancienne Belgique il y a quelques années et.... je crois que c'est à peu près tout. (Cette rareté est due à ma pusillanimité plus qu'à mon absence de curiosité : par exemple, Mayhem joue ce soir à l'AB. Bien que ce soit un groupe que je serais très curieux de voir en concert, pour me faire une idée, je n'ai jamais songé sérieusement à m'y rendre)

Ce n'est d'ailleurs pas une surprise de constater que, parmi la petite vingtaine de personnes présentes à la Zone ce dimanche, je n'en connais pas une seule, là où la plupart du temps, je retrouve toujours lors de mes concerts liégeois le même public. Ici, le noir était de rigueur, les cheveux étaient longs, les piercings en évidence et si barbe il y avait, ce n'était pas le collier plus ou moins bien taillé du hipster-blogueur trentenaire, mais le long bouc noir jais du métalleux. Que faisais-je là alors, tel un poil dans le bouillon ? La question est légitime et je me la suis d'ailleurs posée. Disons que j'ai été invité par une amie parisienne qui a gentiment suggéré de me faire figurer sur la guest-list. Comme je suis dans l'ensemble un garçon bien élevé (on ne ricane pas là-bas au fond de la salle !), j'ai accepté l'invitation, tout prêt à me confronter à une altérité dépaysante, ne serait-ce que pour le plaisir de pouvoir ensuite analyser cette confrontation et me répandre en exégèses tellement longues qu'elles rebuteront même les lecteurs les plus aguerris.

D'ailleurs, je m'aperçois avec un effroi amusé que, après une pleine page et presque 4000 caractères, je n'ai pas encore écrit le nom du groupe que je suis allé voir : Dirge donc, un quatuor parisien formé au milieu des années 90 et qui, après une évolution apparemment assez sensible, joue actuellement une sorte de post-metal mâtiné d'influences doom et death . Ce sont des genres qui m'intéressent depuis longtemps, et des groupes que je vénère comme Dolorian, Sunn O))), Amplifier et Wardruna par exemple, forment un quadrilatère dont Dirge pourrait bien se trouver au centre. 

Tout cela étant dit, je peux reprendre une narration plus chronologique. Ce dimanche en début de soirée, je partis vers la salle d'un bon pas, animé d'une réelle curiosité. Une fois arrivé, j'ai d'abord inspecté les lieux (une entrée qui ne paye pas de mine sur un quai de la Dérivation, un escalier menant au sous-sol, un plafond très bas, des murs couverts de graffitis, assez réussis), un verre de soda à la main (très bon marché) qui, s'il n'aidait guère à me faire passer pour un habitué me donnait au moins un semblant de contenance. Quelques minutes d'acclimatation et un tour des lieux ont finalement suffi à ce que je me débarrasse de cette sensation étrange de ne pas être à ma place (sensation que je viens par ailleurs d'exorciser a posteriori dans cette digression logorrhéique, qui touche seulement à son terme).

La salle était vide, très vide (moins de dix personnes), et pendant longtemps, j'ai cru que chacune d'entre elles allait à un moment ou à un autre de la soirée monter sur scène. Quelques spectateurs supplémentaires sont arrivés au compte-gouttes tandis que la sono diffuse une sorte de stoner-rock-doom (je hais les étiquettes, je les maltraite donc avec une joie mauvaise), qui m'a beaucoup plu (je ne sais absolument pas ce que c'était). Finalement, lorsque le concert commence, vers 21h20, j'ai compté entre dix et vingt vrais spectateurs, ce qui est très peu et m'a fait un peu honte pour ma ville, dont la réputation festive aurait pu faire espérer que plus de monde se déplace. Je me sens toujours étrangement responsable lorsque des groupes qui viennent de loin, repartent de Liège avec le sentiment que c'est un lieu mort, où les spectateurs ne se déplacent pas/n'écoutent pas la musique/papotent pendant tout le concert/n'y connaissent rien/sont peu sympas/sont impolis/etc.....

Le groupe monte sur scène dans un profond silence et une obscurité quasi-complète. Le bassiste (clône, volontaire sans doute, de Billy Corgan, en moins grand) est entouré de deux guitaristes-chanteurs : à gauche, le grunter/growler, massif, pas très grand, barbu, à droite, le chanteur mélodique, plus grand, plus baraqué, du genre à avoir un abonnement à une salle de sports. Le batteur est caché au fond de la scène, dans une pénombre totale. J'étais à deux mètres de la scène et n'ai à aucun moment vu son visage (en avait-il seulement un ?).

Le terme que j'emploierais pour décrire leur musique serait sans doute doom-metal, c'est-à-dire dans mon esprit des morceaux longs, au tempo relativement lent, peu mélodique au sens strict mais construite sur des changements d'harmonie longuement préparés : de nombreuses mesures où un accord plein de tension est appuyé, répété, asséné avec insistance avant d'être résolu par un accord de tonique qu'on laisse résonner pendant quelques secondes, avant de recommencer le processus (je m'avance peut-être un peu en utilisant le terme de tonique mais c'est un pont qui me semble raisonnable entre ce que je connais de l'harmonie classique et ce que j'ai ressenti lors du concert). 

En ressort une musique hypnotique, où les chansons finissent par s'entremêler, les minutes succédant aux minutes dans une infinie répétition du même (on n'est pas loin du drone), fascinante et enveloppante. Les morceaux durent huit minutes comme ils pourraient en durer quatre ou vingt. Après les deux premiers titres, qui servent en quelque sorte de sas d'entrée, la réalité se met à lentement se dissiper et le spectateur à flotter dans l'éther, sans attaches si ce n'est ce sentiment de résolution harmonique dont l'inexorable retour toutes les vingt ou trente secondes finit par former l'entièreté de l'univers sensible. 

Ce sentiment d'irréalité est entretenu par la pénombre, par le caractère statique des musiciens, par la lenteur de leurs rares mouvements ainsi que par la manière dont les (rares) parties vocales sont sous-mixées, volontairement je suppose (et pas seulement à cause de mes bouchons d'oreille, accessoire évidemment obligatoire pour un concert du genre). Il m'a vraiment fallu tendre l'oreille pour les entendre, ce qui surtout dans le cas du "growler" donne une impression étrange de décalage entre le son et l'image. Hurlement discret sonne comme un oxymore mais ce concept est au cœur de la musique de Dirge (et de beaucoup de groupes du même genre) et j'ai pour la première fois pu apprécier à quel point cela participe à l'effet produit en concert.

Les morceaux vont s'enchaîner pendant un peu plus d'une heure, sans grande interaction avec le public, qui se contentera d'applaudir poliment entre chaque morceau, restant essentiellement statique le reste du temps. Je signalerai juste un spectateur, bourré, sur la droite, qui viendra lors d'un morceau à proximité du guitariste pour faire des moulinets d'encouragement avec le poing, lorsque le jeu se fera plus technique, lors d'un passage vaguement psychédélique (entendez par là un passage où le guitariste se met à jouer des traits plus rapides, rappelant la musique répétitive ou indienne, mais toujours en arrière-plan sonore pour ne pas déforcer l'effet harmonique décrit ci-dessus).

Dans cette torpeur et cette immobilité ambiante, ma gestuelle d'auditeur de doom-metal fait de moi l'une des personnes les plus actives de l'assistance. En quoi consiste cette gestuelle ? Disons qu'un talon marque les coups de batterie les plus importants, surtout ceux où la tension se résout (pas toujours le même talon d'ailleurs, parfois un début de crampe me fait changer de jambe), le haut du corps se balance lentement, comme soumis au clapotis d'une marée sonore, du flux et du reflux d'une musique qui serait la respiration d'une énorme bête endormie. La tête suit toujours les mouvements du corps avec un léger retard, comme à regret. Tous les gestes sont lents, circulaires, sans variations brusques de direction, calculés pour pouvoir s'enchaîner indéfiniment. Les yeux sont la plupart du temps fermés

Après une heure, c'est presque une surprise lorsque trois des quatre membres du groupe quittent la scène sans dire un mot, laissant leurs amplis réverbérer les dernières notes et le guitariste/growler mettre un touche finale au morceau. Lorsque ce dernier part à son tour, les lumières se rallument. Le concert est terminé, me laissant avec le sentiment étrange de me réveiller d'un long rêve. 

jeudi, mai 8

Nits, AB Club, 6 mai 2014

J'ai déjà beaucoup écrit sur les Nits, et notamment sur les concerts auxquels j'ai assisté (une petite dizaine, même si je me rends compte avec surprise que seulement deux d'entre eux ont été chroniqués sur ce blog).

Il est donc inutile que je revienne sur la bonne humeur communicative du trio, sur leur évidente complicité sur scène, sur le jeu poétique et souple de Rob Kloet aux percussions, sur la mine concentrée de Robert Jan Stips aux claviers ou sur la bonhomie rigolarde de Henk Hofstede. Tout cela participe grandement au plaisir que je prends à tous leurs concerts mais je doute d'être capable de le réexprimer d'une manière qui ne soit pas un simple décalque de ce que j'ai déjà pu écrire auparavant à leur sujet.


Il me semble plus intéressant de m'appesantir sur ce qui fait la particularité de cette tournée et de ce concert bruxellois (outre la petite taille de la salle) : il est entièrement consacré aux dix premières années de l'existence du groupe et à leurs cinq premiers albums  (Tent, New Flat, Work, Omsk et Adieu Sweet Bahnhof). Pour accentuer ce côté rétrospectif, l'ordre des chansons sur la set-list, en dehors des rappels, est entièrement chronologique. La partie la plus connue de leur discographie se retrouve ainsi escamotée. A part Nescio et Adieu Sweet Bahnhof, ce concert ne contenait aucune des chansons emblématiques des tournées récentes du groupe (pas de In the Dutch Mountains, de Bike In Head, de JOS Days ou de Cars & Cars par exemple).



Or, il se fait que je connais finalement assez mal le début de leur carrière. Je n'ai découvert les albums à leur sortie qu'à partir de Giant Normal Dwarf au début des années 90, et ma remontée dans le temps s'est surtout concentrée sur les albums les plus proches, ceux où je retrouvais l'évidence pop, la poésie des arrangements et des instrumentations qui faisaient le prix de cet album ou du suivant, Ting. C'est ainsi que je connais presque par cœur des albums comme Adieu Sweet Bahnhof ou Omsk, mais beaucoup moins bien les trois premiers.

A cette époque, le groupe suivait un canevas post-punk/new-wave assez classique (guitare, basse, claviers, batterie), avec des chansons de trois minutes environ, un son brut, assez peu travaillé, la recherche dans les compositions d'une forme d'efficacité immédiate qui ne dédaigne pas une pointe de sophistication arty, mais sans effets de manche ou mise en avant de la compétence des musiciens (à cette époque, la technique instrumentale était encore honnie, souvenir nauséabond des pires heures du prog-rock). Leur son de cette époque m'évoque personnellement des groupes comme Devo ou Gang of Four, voire les Talking Heads ou les premiers albums solo de Brian Eno (les influences glam en moins).


Cette description pourrait (devrait même, sans doute) donner envie, mais je dois avouer que Tent, leur premier album de 1979, que j'écoute en tapant ceci, me laisse toujours étrangement froid. J'y regrette le simplisme des mélodies, l'absence d'envolées poétiques ou de trouvailles rythmiques (Rob est encore assez basique dans sa manière de jouer, plus batteur que percussionniste). C'est très (trop ?) carré et je n'y retrouve pas vraiment ce que j'aime chez les Nits. 

Ce n'est donc qu'aux environs du dixième morceau (avec Slip of The Tongue), lorsque la set-list a atteint le milieu des années 80, que j'ai retrouvé mes marques et pu identifier des chanson à leur intro. Pendant la demi-heure qui a précédé, j'ai eu l'impression d'entendre un groupe dont je ne savais pas grand chose. Seuls quelques lambeaux de mélodies éparses évoquaient en moi de vagues souvenirs, le plus souvent insituables.

Dans ces conditions, le miracle de ce concert fut sans doute que ces chansons des débuts, qui m'avaient jusque là résisté (et me résistent encore dans leurs versions studio), se sont imposées à moi avec évidence une fois interprétées avec l'énergie du live. Les rythmes abrupts de Ping Pong, les velléités psychédéliques de Empty Room, l'atmosphère entêtante de Hook Of Holland ont soudain fait sens. On peut à ce propos sans doute saluer le côté bon camarade de Robert Jan Stips qui participe à une tournée où il interprète pour moitié des chansons qui datent d'avant son arrivée dans le groupe.

Je sens bien que je ne parviens pas tout à fait à exprimer les raisons pour lesquelles ce concert m'est apparu comme une révélation. Attendez-vous à des modifications de ce billet une fois que les mots me seront venus. En attendant cette hypothétique inspiration, je vous propose ci-dessous quelques vidéos tirées d'un concert récent de la même tournée. Quelques secondes suffiront à faire comprendre aux habitués à quel point cette tournée est différente des autres : une scène plus resserrée, moins de discussions avec le public et de digressions, des morceaux plus courts. Tout, jusque dans l'attitude des musiciens sur scène, indique une inspiration, un état d'esprit et des points de référence différents. Je n'avais jamais vu Henk comme ça, arqué sur sa guitare électrique, concentré sur son jeu, presque tendu par moments.

Pendant cette première demi-heure, j'ai donc eu l'impression étrange de découvrir un autre groupe. Ce n'était clairement pas les Nits que je connaissais, ou que je croyais connaître, mais un groupe obscur du début des années 80, qui serait venu, par on ne sait quel stratagème temporel, jouer en 2014 sa tournée de 1981, à l'identique.

Ce concert m'a ainsi fait prendre conscience que, derrière les chansons plus tardives du groupe se dissimulait en palimpseste une source d'énergie basique, anguleuse et inquiétante, que je ne soupçonnais pas et qui irradie les premières années de leur carrière. Cette découverte est évidemment bienvenue. Elle apporte une nouvelle dimension à mon appréciation du groupe. Il me revient à présent de chercher à retrouver la trace de cette énergie primitive lorsque j'écoute les premiers albums. Je ne garantis pas que je vais y parvenir, mais je ne ménagerai pas mes efforts. Le deuxième meilleur groupe du monde ne mérite pas moins.


















En attendant, je remercie mes bataves préférés pour ces deux petites heures de bonheur. Je les reverrai en décembre, dans la même salle, pour une tournée plus classique. Je saurai alors si mes efforts ont porté leurs fruits et si Tent, New Flat et Work se sont taillé une place plus grande dans mon cœur. Dans le cas contraire, cela signifiera que je le souvenir de ce concert, et de l'énergie qui s'en dégageait, s'est estompé et je ne pourrai m'en prendre qu'à moi-même.




vendredi, février 21

Liste de podcasts et émissions de radio

Il est apparent depuis au moins deux ans (et sans doute beaucoup plus pour les hipsters) que l'âge d'or du blog musical est passé. J'ai l'impression que les gens sont de moins en moins disposés à lire sur la musique, et même l'ajout en-dessous du billet d'un lien vers une playlist Spotify, une vidéo Youtube ou une chanson sur Soundcloud paraît pour ce que j'en vois tout à fait insuffisant. En ce qui me concerne en tout cas, je ne les fréquente quasiment plus (j'ai même abandonné mon bien-aimé Music For Robots, qui m'a fait découvrir tant de choses... j'ai honte, mais le téléchargement de mp3, c'est tellement 2005).

En revanche, je me suis mis à écouter des podcasts (je rappelle aux distraits que j'en ai même enregistré deux, voir colonne de droite ou ici), retrouvant via Internet le plaisir d'écouter la radio, plaisir dont j'étais privé (au moins depuis que Pure FM est devenue inécoutable). Notez bien que dans mon esprit, émission radio n'est pas synonyme de mix. J'ai besoin d'un fil rouge, d'une voix qui m'emmène à la découverte des musiques que je ne connais pas. Je veux des morceaux présentés, annoncés et "désannoncés". La présentation pour situer le genre, l'atmosphère, créer l'envie, la "désannonce" pour me permettre de noter le nom du groupe et de l'album. Ce que je recherche je suppose, c'est retrouver le plaisir des émissions personnelles, où animateur et programmateur se confondaient, comme celles de Tyan sur Radio 21, Bernard Lenoir sur France Inter ou, bien sûr, John Peel sur BBC Radio One. Par contraste, un mix continu m'ennuie en général après 10 minutes.

Suit donc une liste éminemment subjective des podcast et des émissions de radio que je ne raterais pour rien au monde. N'hésitez pas à me laisser en commentaire ou via un média social quelconque vos propres suggestions. Il me reste l'une ou l'autre plage horaire ouverte pour en découvrir d'autres.

En français : 
  • Substances (48FM, Liège, Belgique) : deux heures par semaine, Laurent propose un tour d'horizon des nouveautés de la semaine, voire parfois, quand il a du retard dans ses écoutes, des deux mois précédents. Beaucoup de lo-fi, de folk, de rock, avec un sens de l'improvisation que n'aurait pas renié John Peel.
  • Diagonales (Radio Rectangle, Belgique) : dans la lignée du précédent et animée par un membre de Showstar (groupe dont j'avoue ne rien savoir, oups!), une demi-heure par semaine, ce qui est plus raisonnable.
  • Autour de Babel (RTBF Musiq 3, Belgique) : deux heures par semaine, un mix entre classique, électro, musique contemporaine et folk. Chaque émission est conçue par un programmateur différent. Certaines semaines sont donc plus passionnantes que d'autres, et contrairement à ce que je dis plus haut, il s'agit d'un mix continu, dont la playlist est disponible sur le site.
  • L'inspecteur des Riffs (48FM, Radio Rectangle, Liège, Belgique) : deux heures par mois, un tour d'horizon thématique essentiellement centré autour du jazz et du rock, avec le toujours formidable Stéphane Dupont (les émissions plus récentes sont accessibles via Radio Rectangle)

En anglais : 
  • Stuart Maconie's Freak zone (BBC6Music, UK) : L'ancien journaliste du NME et pilier de Radio 1 nous emmène ici dans les recoins les plus bizarroïdes de la musique actuelle : entre néo-prog, folk, électro et metal. J'y découvre en moyenne trois albums par semaine. Ca en devient presque fatiguant.
  • Plus généralement, si vous n'avez rien à vous mettre entre les oreilles, écouter le live stream de BBC6 Music est rarement une mauvaise idée (Guy Garvey, Steve Lamacq, Lauren Laverne, Huey Morgan, Terry Hall et Tom Robinson, entre autres, y ont leur émission).